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LA PHILOSOPHIE ET LA MORALE.

tous les hommages qui exprimeroient des sentiments plus exaltés et plus tendres. »

Quel injuste traité ! tous les sentiments humains s y refusent. Il existe un contraste singulier entre les formes de respect envers les femmes, que l’esprit chevaleresque a introduites en Europe, et la tyrannique liberté que les hommes se sont adjugée. Ce contraste produit tous les malheurs du sentiment, les attachements illégitimes, la perfidie, l’abandon et le désespoir. Les nations germaniques ont été moins atteintes que les autres par ces funestes effets ; mais elles doivent craindre à cet égard l’influence qu’exerce à la longue la civilisation moderne. Il vaut mieux renfermer les femmes comme des esclaves, ne point exciter leur esprit ni leur imagination, que de les lancer au milieu du monde, et de développer toutes leurs facultés, pour leur refuser ensuite le bonheur que ces facultés leur rendent nécessaire.

Il y a dans un mariage malheureux une force de douleur qui dépasse toutes les autres peines de ce monde. L’âme entière d’une femme repose sur l’attachement conjugal : lutter seule contre le sort, s’avancer vers le cercueil sans qu’un ami vous soutienne, sans qu’un ami vous regrette,