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DE L’AMOUR DANS LE MARIAGE.

une grande ; et de cette différence nait la ruse dans les femmes, et le ressentiment dans les hommes. Quel est le cœur qui peut se donner tout entier sans vouloir un autre cœur aussi tout entier ? Qui donc accepte de bonne foi l’amitié pour prix de l’amour ? Qui promet sincèrement la constance à qui ne veut pas être fidèle ? Sans doute la religion peut l’exiger, car elle seule a le secret de cette çontrée mystérieuse où les sacrifices sont des jouissances ; mais qu’il est injuste l’échange que l’homme se propose de faire subir à sa compagne !

« Je vous aimerai, dit-il, avec passion deux ou trois ans, et puis au bout de ce temps je vous parlerai raison. » Et ce qu’ils appellent raison, c’est le désenchantement de la vie. « Je montrerai dans ma maison de la froideur et de l’ennui ; je tâcherai de plaire ailleurs : mais vous qui avez d’ordinaire plus d’imagination et de sensibilité que moi, vous qui n’avez ni carrière ni distraction, tandis que le monde m’en offre de toute espèce, vous qui n’existez que pour moi, tandis que j’ai mille autres pensées, vous serez satisfaite de l’affection subordonnée, glacée, partagée, qu’il me convient de vous accorder, et vous dédaignerez