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LA PHILOSOPHIE ET LA MORALE.

tesse qui sacrifie l’amour à l’amitié, sans que le devoir le commande, n’est que de la froideur maniérée.

C’est un système tout factice que ces générosités aux dépens de l’amour. Il ne faut admettre ni tolérance ni partage dans un sentiment qui n’est sublime que parce qu’il est, comme la maternité, comme la tendresse filiale, exclusif et tout-puissant. On ne doit pas se mettre par son choix dans une situation où la morale et la sensibilité ne sont pas d’accord ; car ce qui est involontaire est si beau, qu’il est affreux d’être condamné à se commander toutes ses actions, et à vivre avec soi-même comme avec sa victime.

Ce n’est assurément ni par hypocrisie, ni par sécheresse d’âme, qu’un génie bon et vrai a imaginé dans le roman de Woldemar des situations où chaque personnage immole le sentiment par le sentiment, et cherche avec soin une raison de ne pas aimer ce qu’il aime. Mais Jacobi, ayant éprouvé dès sa jeunesse un vif penchant pour tous les genres d’enthousiasme, a cherché dans les liens du cœur une mysticité romanesque très-ingénieusement exprimée, mais peu naturelle.