Page:De Staël – De l’Allemagne, Tome 3, 1814.djvu/238

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
220
LA PHILOSOPHIE ET LA MORALE.

en parlant ainsi : mais on leur a fourni l’argument qui peut servir à les justifier, quoi qu’ils fassent ; et c’est beaucoup pour les hommes d avoir des phrases à dire en faveur de leur conduite : ils s’en servent d’abord pour tromper les autres, et finissent par se tromper eux-mêmes.

Dira-t-on que cette doctrine indépendante ne peut convenir qu’aux caractères vraiment vertueux ? Il ne doit point y avoir de priviléges même pour la vertu ; car du moment qu’elle en désire, il est probable qu’elle n’en mérite plus. Une égalité sublime règne dans l’empire du devoir, et il se passe quelque chose au fond du cœur humain qui donne à chaque homme, quand il le veut sincèrement, les moyens d’accomplir tout ce que l’enthousiasme inspire, sans sortir des bornes de la loi chrétienne qui est aussi l’œuvre d’un saint enthousiasme.

La doctrine de Kant peut être en effet considérée comme trop sèche, parce qu’il n’y donne pas assez d’influence à la religion ; mais il ne faut pas s’étonner qu’il ait été porté à ne pas faire du sentiment la base de sa morale, dans un temps où il s’étoit répandu, en Allemagne surtout, une affectation de sensibilité qui affoiblissoit nécessairement le ressort des esprits et des carac-