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DE LA MORALE, etc.

tion la plus désirable par le sang d’un innocent ; ces simples paroles renferment ce qu’il y a de vrai, de sacré, de divin dans la destinée de l’homme.

Ce n’est sûrement pas pour les avantages de cette vie, pour assurer quelques jouissances de plus à quelques jours d’existence, et retarder un peu la mort de quelques mourants, que la conscience et la religion nous ont été données. C’est pour que des créatures en possession du libre arbitre choisissent ce qui est juste en sacrifiant ce qui est utile, préferent l’avenir au présent, l’invisible au visible, et la dignité de l’espèce humaine à la conservation même des individus.

Les individus sont vertueux quand ils sacrifient leur intérêt particulier à l’intérêt général ; mais les gouvernements sont à leur tour des individus qui doivent immoler leurs avantages personnels à la loi du devoir ; si la morale des hommes d’état n’étoit fondée que sur le bien public, elle pourroit les conduire au crime, si ce n’est toujours, au moins quelquefois, et c’est assez d’une seule exception justifiée pour qu’il n’y ait plus de morale dans le monde ; car tous les principes vrais sont absolus : si deux et deux