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LA PHILOSOPHIE ET LA MORALE.

la mort de plusieurs ? c’est à cause de l’irnportance que tous attachent à la loi morale ; elle est mille fois plus que la vie physique dans l’univers et dans l’âme de chacun de nous qui est aussi un univers.

Si l’on ne fait de la morale qu’un calcul de prudence et de sagesse, une économie de ménage, il y a presque de l’énergie à n’en pas vouloir. Une sorte de ridicule s’attache aux hommes d’état qui conservent encore ce qu’on appelle des maximes romanesques, la fidélité dans les engagements, le respect pour les droits individuels, etc. On pardonne ces scrupules aux particuliers qui sont bien les maîtres d’être dupes à leurs propres dépens ; mais quand il s’agit de ceux qui disposent du destin des peuples, il y auroit des circonstances où l’on pourroit les blâmer d’être justes et leur faire un tort de la loyauté ; car si la morale privée est fondée sur l’intérêt personnel, à plus forte raison la morale publique doit-elle l’être sur l’intérêt national, et cette morale, suivant l’occasion, pourroit faire un devoir des plus grands forfaits, tant il est facile de conduire à l’absurde celui qui s’écarte des simples bases de la vérité. Rousseau a dit qu’il n’étoit pas permis à une nation d’acheter la révolu-