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LA PHILOSOPHIE ET LA MORALE.

tances pour justifier une action immorale, sur quel principe pourroit-on se fonder pour s’arrêter à telle ou telle borne ? les passions naturelles les plus impétueuses ne seroient-elles pas encore plus aisément justifiées que les calculs de la raison, si l’on admettoit l’intérêt public ou particulier comme une excuse de l’injustice ?

Quand, à l’époque la plus sanglante de la révolution, on a voulu autoriser tous les crimes, on a nommé le gouvernement comité de salut public ; c’étoit mettre en lumière cette maxime reçue, que le salut du peuple est la suprême loi. — La suprême loi, c’est la justice. — Quand il seroit prouvé qu’on serviroit les intérêts terrestres d’un peuple par une bassesse ou par une injustice, on seroit également vil ou criminel en la commettant ; car l’intégrité des principes de la morale importe plus que les intérêts des peuples. L’individu et la société sont responsables, avant tout, de l’héritage céleste qui doit être transmis aux générations successives de la race humaine. Il faut que la fierté, la générosité, l’équité, tous les sentiments magnanimes enfin soient sauvés à nos dépens d’abord, et même aux dépens des autres, puisque les autres doivent, comme nous, s’immoler à ces sentiments.