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LA PHILOSOPHIE ET LA MORALE.

bes, qu’ils renonçoient à la lumière du jour, et ne sentoient le ciel que dans leur âme : si quelqu’un avoit dit qu’ils entendoient bien leur intérêt, quel froid glacé se seroit répandu dans les veines en l’écoutant, et combien un regard attendri nous eût mieux révélé tout ce qu’il y a de sublime dans de tels hommes !

Non certes, la vie n’est pas si aride que l’égoïsme nous l’a faite : tout n’y est pas prudence, tout n’y est pas calcul ; et quand une action sublime ébranle toutes les puissances de notre être, nous ne pensons pas que l’homme généreux qui se sacrifie a bien connu, bien combiné son intérêt personnel : nous pensons qu’il immole tous les plaisirs, tous les avantages de ce monde, mais qu’un rayon divin descend dans son cœur pour lui causer un genre de félicité qui ne ressemble pas plus à tout ce que nous revêtons de ce nom, que l’immortalité à la vie.

Ce n’est pas sans motif cependant qu’on met tant d’importance à fonder la morale sur l’intérêt personnel : on a l’air de ne soutenir qu’une théorie, et c’est en résultat une combinaison très-ingénieuse pour établir le joug de tous les genres d’autorité. Nul homme, quelque dépravé qu’il soit, ne dira qu’il ne faut pas de morale ; car ce-