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LA PHILOSOPHIE ET LA MORALE.

cette prudence est à la vertu comme le bon sens au génie : tout ce qui est vraiment beau est inspiré, tout ce qui est désintéressé est religieux. Le calcul est l’ouvrier du génie, le serviteur de l’âme ; mais, s’il devient le maître, il n’y a plus rien de grand ni de noble dans l’homme. Le calcul, dans la conduite de la vie, doit être toujours admis comme guide, mais jamais comme motif de nos actions. C’est un bon moyen d’exécution, mais il faut que la source de la volonté soit d’une nature plus élevée, et qu’on ait en soi-même un sentiment intérieur qui nous force aux sacrifices de nos intérêts personnels.

Lorsqu’on vouloit empêcher saint Vincent-de-Paule de s’exposer aux plus grands périls pour secourir les malheureux, il répondoit : « Me croyez-vous assez lâche pour préférer ma vie à moi ! » Si les partisans de la morale fondée sur l’intérêt veulent retrancher de cet intérêt tout ce qui concerne l’existence terrestre, alors ils seront d’accord avec les hommes les plus religieux ; mais encore pourra-t-on leur reprocher les mauvaises expressions dont ils se servent.

— En effet, dira-t-on, il ne s’agit que d’une dispute de mots : nous appelons utile ce que vous appelez vertueux ; mais nous plaçons de même