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DE LA MORALE, etc.

qu’on désigne ici-bas par le mot de bonheur. Appeler le dévouement ou l’égoïsme, le crime ou la vertu, un intérêt personnel bien ou mal entendu, c’est vouloir combler l’abîme qui sépare l’homme coupable de l’homme honnête, c’est détruire le respect, c’est affoiblir l’indignation ; car si la morale n’est qu’un bon calcul, celui qui peut y manquer ne doit être accusé que d’avoir l’esprit faux. L’on ne sauroit éprouver le noble sentiment de l’estime pour quelqu’un parce qu’il calcule bien, ni la vigueur du mépris contre un autre parce qu’il calcule mal. On est donc parvenu par ce système au but principal de tous les hommes corrompus, qui veulent mettre de niveau le juste avec l’injuste, ou du moins considérer l’un et l’autre comme une partie bien ou mal jouée : aussi les philosophes de cette école se servent-ils plus souvent du mot de faute que de celui de crime ; car, d’après leur manière de voir, il n’y a dans la conduite de la vie que des combinaisons habiles ou maladroites.

On ne concevroit pas non plus comment le remords pourroit entrer dans un pareil système ; le criminel, lorsqu’il est puni, doit éprouver le genre de regret que cause une spéculation manquée ; car si notre propre bonheur est notre