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LA PHILOSOPHIE ET LA MORALE.

toutes les vertus. Hume lui-même, le plus sceptique des philosophes anglais, n’a pu lire sans dégoût cette théorie de l’amour de soi, qui flétrit la beauté de l’âme. Rien n’est plus opposé que ce système à l’ensemble des opinions des Allemands : aussi leurs écrivains philosophes et moralistes à la tête desquels il faut placer Kant, Fichte et Jacobi, l’ont-ils combattu victorieusement.

Comme la tendance des hommes vers le bonheur est la plus universelle et la plus active de toutes, on a cru fonder la moralité de la manière la plus solide en disant qu’elle consistoit dans l’intérêt personnel bien entendu. Cette idée a séduit des hommes de bonne foi, et d’autres se sont proposé d’en abuser, et n’y ont que trop bien réussi. Sans doute les lois générales de la nature et de la société mettent en harmonie le bonheur et la vertu ; mais ces lois sont sujettes à des exceptions très-nombreuses, et paroissent en avoir encore plus qu’elles n’en ont.

L’on échappe aux arguments tirés de la prospérité du vice et des revers de la vertu, en faisant consister le bonheur dans la satisfaction de la conscience ; mais cette satisfaction, d’un ordre tout-à-fait religieux, n’a point de rapport avec ce