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LA PHILOSOPHIE ET LA MORALE.

dans la littérature l’habitude que donnent les affaires de tendre toujours vers un but. Les événements, tels qu’ils existent dans la réalité, ne sont point calculés comme une fiction dont le dénouement est moral. La vie elle-même est conçue d’une manière tout-à-fait poétique : car ce n’est point d’ordinaire parce que le coupable est puni et l’homme vertueux récompensé qu’elle produit sur nous une impression morale, c’est parce qu’elle développe dans notre âme l’indignation contre le coupable et l’enthousiasme pour l’homme vertueux.

Les Allemands ne considèrent point, ainsi qu’on le fait d’ordinaire, l’imitation de la nature comme le principal objet de l’art ; c’est la beauté idéale qui leur paroît le principe de tous les chefs-d’œuvre, et leur théorie poétique est à cet égard tout-à-fait d accord avec leur philosophie. L’impression qu’on reçoit par les beaux-arts n’a pas le moindre rapport avec le plaisir que fait éprouver une imitation quelconque ; l’homme a dans son âme des sentiments innés que les objets réels ne satisferont jamais, et c’est à ces sentiments que l’imagination des peintres et des poëtes sait donner une forme et une vie. Le premier des arts, la musique, qu’imite-t-il ? De tous les dons