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LA LITTÉRATURE ET LES ARTS

Elle charge les nuages que le vent du nord semble pousser vers cette heureuse patrie de son choix ; elle les charge de porter à ses amis ses regrets et ses désirs : « Allez, leur dit-elle, vous, mes seuls messagers, l’air libre vous appartient : vous n’êtes pas les sujets d’Élizabeth. » — Elle aperçoit dans le lointain un pêcheur qui conduit une frêle barque, et déjà elle se flatte qu’il pourra la sauver : tout lui semble espérance quand elle a revu le ciel.

Elle ne sait point encore qu’on l’a laissé sortir afin qu’Élizabeth pût la rencontrer ; elle entend la musique de la chasse, et les plaisirs de sa jeunesse se retracent à son imagination en l’écoutant. Elle voudroit monter un cheval fougueux, parcourir avec la rapidité de l’éclair les vallées et les montagnes ; le sentiment du bonheur se réveille en elle, sans nulle raison, sans nul motif, mais parce qu’il faut que le cœur respire et qu’il se ranime quelquefois tout à coup à l’approche des plus grands malheurs, comme il y a presque toujours un moment de mieux avant l’agonie.

On vient avertir Marie qu’Élizabeth va venir. Elle avoit souhaité cette entrevue ; mais quand l’instant approche tout son être en frémit. Lei-