qu’on en dépouille. Il suffit à Shakespear de quelques paroles pour disposer de l’âme des auditeurs et les faire passer de la haine à la pitié. Les diversités sans nombre du cœur humain renouvellent sans cesse la source où le talent peut puiser.
Dans la réalité, pourra-t-on dire, les hommes sont inconséquents et bizarres, et souvent les plus belles qualités se mêlent à de misérables défauts ; mais de tels caractères ne conviennent pas au théâtre ; l’art dramatique exigeant la rapidité de l’action, l’on ne peut dans ce cadre peindre les hommes que par des traits forts et des circonstances frappantes. Mais s’ensuit-il cependant qu’il faille se borner à ces personnages tranchés dans le mal et dans le bien, qui sont comme les éléments invariables de la plupart de nos tragédies ? Quelle influence le théâtre pourroit-il exercer sur la moralité des spectateurs, si l’on ne leur faisoit voir qu’une nature de convention ! Il est vrai que sur ce terrain factice la vertu triomphe toujours, et le vice est toujours puni ; mais comment cela s’appliqueroit-il jamais à ce qui se passe dans la vie, puisque les hommes qu’on montre sur la scène ne sont pas les hommes tels qu’ils sont ?