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LA LITTÉRATURE ET LES ARTS

« Rappelez-lui, dit-il, quand il sera dans l’âge mûr, rappelez-lui qu’il doit porter respect aux rêves de sa jeunesse. » En effet, quand on avance dans la vie, la prudence prend à tort le pas sur toutes les autres vertus ; on diroit que tout est folie dans la chaleur de l’âme, et cependant, si l’homme pouvoit la conserver encore quand l’expérience l’éclaire, s’il héritoit du temps sans se courber sous son poids, il n’insulteroit jamais aux vertus exaltées, dont le premier conseil est toujours le sacrifice de soi-même.

Le marquis de Posa, par une suite de circonstances trop embrouillées, a cru servir don Carlos auprès de Philippe, en paraissant le sacrifier à la fureur de son père. Il n’a pu réussir dans ses projets ; le prince est conduit en prison, le marquis de Posa va l’y trouver, lui explique les motifs de sa conduite, et, pendant qu’il se justifie, un assassin envoyé par Philippe II le fait tomber atteint d’une balle meurtrière aux pieds de son ami. La douleur de don Carlos est admirable ; il redemande le compagnon de sa jeunesse à son père qui l’a tué, comme si l’assassin conservoit encore le pouvoir de rendre la vie à sa victime. Les re-