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LES CRITIQUES A. W. ET F. SCHLEGEL

rarement on y met l’ordre et la méthode qui classent les idées dans la tête du lecteur ; et ce n’est point parce que les Français sont impatients, mais parce qu’ils ont l’esprit juste, qu’ils se fatiguent de ce défaut ; les fictions ne sont pas dessinées dans les poésies allemandes avec ces contours fermes et précis qui en assurent l’effet, et le vague de l’imagination correspond à l’obscurité de la pensée. Enfin si les plaisanteries bizarres et vulgaires de quelques ouvrages prétendus comiques manquent de goût, ce n’est pas à force de naturel, c’est parce que l’affectation de l’énergie est au moins aussi ridicule que celle de la grâce. Je me fais vif, disoit un Allemand en sautant par la fenêtre : quand on se fait, on n’est rien : il faut recourir au bon goût français, contre la vigoureuse exagération de quelques Allemands, comme à la profondeur des Allemands, contre la frivolité dogmatique de quelques Français.

Les nations doivent se servir de guide les unes aux autres, et toutes auroient tort de se priver des lumières qu’elles peuvent mutuellement se prêter. Il y a quelque chose de très-singulier dans la différence d’un peuple à un autre : le climat, l’aspect de la nature, la langue, le gouvernement, enfin surtout les événements de l’his-