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DES HISTORIENS ALLEMANDS

rature aux intérêts de la vie, quand on sait exciter par le récit l’anxiété de l’attente ; le jugement du lecteur s’exerce sur un mot, sur une action qui fai ttout à coup comprendre un homme, et souvent l’esprit même d’une nation et d’un siècle.

La conjuration de Rütli, telle qu’elle est racontée dans l’histoire de Müller, inspire un intérêt prodigieux. Cette vallée paisible où des hommes, paisibles aussi comme elle, se déterminèrent aux plus périlleuses actions que la conscience puisse commander ; le calme dans la délibération, la solennité du serment, l’ardeur dans l’exécution, l’irrévocable qui se fonde sur la volonté de l’homme, tandis qu’au dehors tout peut changer, quel tableau ! Les images seules y font naître les pensées : les héros de cet événement, comme l’auteur qui le rapporte, sont absorbés par la grandeur même de l’objet. Aucune idée générale ne se présente à leur esprit, aucune réflexion n’altère la fermeté de l’action ni la beauté du récit.

À la bataille de Granson, dans laquelle le duc de Bourgogne attaqua la faible armée des cantons suisses, un trait simple donne la plus touchante idée de ces temps et de ces mœurs.