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DE LA LITTÉRARURE ET LES ARTS

à l’écrivain de ce roman, et que, par paresse de cœur, il met de côté la moitié de son talent, de peur de se faire souffrir lui-même en attendrissant les autres.

Une question plus importante, c’est de savoir si un tel ouvrage est moral, c’est-à-dire si l’impression qu’on en reçoit est favorable au perfectionnement de l’âme ; les événements ne sont de rien à cet égard dans une fiction ; on sait si bien qu’ils dépendent de la volonté de l’auteur, qu’ils ne peuvent réveiller la conscience de personne : la moralité d’un roman consiste donc dans les sentiments qu’il inspire. On ne sauroit nier qu’il y a dans le livre de Goethe une profonde connoissance du cœur humain, mais une connoissance décourageante ; la vie y est représentée comme une chose assez indifférente, de quelque manière qu’on la passe ; triste quand on l’approfondit ; assez agréable quand on l’esquive, susceptible de maladies morales qu’il faut guérir si l’on peut, et dont il faut mourir si l’on n’en peut guérir. — Les passions existent, les vertus existent ; il y a des gens qui assurent qu’il faut combattre les unes par les autres ; il y en a d’autres qui prétendent que cela ne se peut pas ; voyez et jugez, semble