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DE L’ART DRAMATIQUE

met font qu’elles sont toutes plus ou moins renfermées dans un même cercle, elles ne sauroient se passer de la perfection du style pour être admirées. Si l’on youloit risquer en France, dans une tragédie, une innovation quelconque, aussitôt on s’écrieroit que c’est un mélodrame ; mais n’importe-t-il pas de savoir pourquoi les mélodrames font plaisir à tant de gens ? En Angleterre, toutes les classes sont également attirées par tes pièces de Shakespear. Nos plus belles tragédies en France n’intéressent pas le peuple ; sous prétexte d’un goût trop pur et d’un sentiment trop délicat pour supporter de certaines émotions, on divise l’art en deux ; les mauvaises pièces contiennent des situations touchantes mal exprimées, et les belles pièces peignent admirablement des situations souvent froides à force d’être dignes : nous possédons peu de tragédies qui puissent ébranler à la fois l’imagination des hommes de tous les rangs.

Ces observations n’ont assurément pas pour objet le moindre blâme contre nos grands maîtres. Quelques scènes produisent des impressions plus vives dans les pièces étrangères ; mais rien ne peut être comparé à l’ensemble imposant et