Page:De Staël – De l’Allemagne, Tome 2, 1814.djvu/327

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
309
DES ROMANS.

Il faudroit, pour comprendre tout l’effet de cet admirable tableau, en rapporter chaque détail. On ne peut se représenter sans émotion les moindres mouvements de cette jeune fille ; il y a je ne sais quelle simplicité magique en elle qui suppose des abîmes de pensées et de sentiments ; l’on croit entendre gronder l’orage au fond de son âme, lors même que l’on ne sauroit citer ni une parole ni une circonstance qui motive l’inquiétude inexprimable qu’elle fait éprouver.

Malgré ce bel épisode, on aperçoit dans Wilhelm Meister le système singulier qui s’est développé depuis quelque temps dans la nouvelle école allemande : les récits des anciens, et même leurs poëmes, quelque animés qu’ils soient dans le fond, sont calmes par la forme ; et l’on s’est persuadé que les modernes feroient bien d’imiter la tranquillité des écrivains antiques : mais en fait d’imagination, ce qui n’est commandé que par la théorie ne réussit guère dans la pratique. S’il s’agit d’événements tels que ceux de l’Iliade, ils intéressent d’eux-mêmes, et moins le sentiment personnel de l’auteur s’aperçoit, plus le tableau fait impression ; mais si l’on se met à peindre les situations romanesques avec le calme impartial