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DE LA LITTÉRARURE ET LES ARTS

Alors se développe dans cette créature extraordinaire un mélange singulier d’enfance et de profondeur, de sérieux et d’imagination ; ardente comme les Italiennes, silencieuse et persévérante comme une personne réfléchie, la parole ne semble pas son langage. Le peu de mots qu’elle dit cependant est solennel, et répond à des sentiments bien plus forts que son âge, et dont elle-même n’a pas le secret. Elle s’attache à Wilhelm avec amour et respect ; elle le sert comme un domestique fidèle, elle l’aime comme une femme passionnée : sa vie ayant toujours été malheureuse ; on diroit qu’elle n’a point connu l’enfance, et que, souffrant dans l’âge auquel la nature n’a destiné que des jouissances, elle n’existe que pour une seule affection avec laquelle les battements de son cœur commencent et finissent.

Le personnage de Mignon (c’est le nom de la jeune fille) est mystérieux comme un rêve ; elle exprime ses regrets pour l’Italie dans des vers ravissants que tout le monde sait par cœur en Allemagne : « Connois-tu cette terre où les citronniers fleurissent, etc. » Enfin la jalousie, cette impression trop forte pour de si jeunes organes, brise la pauvre enfant, qui sentit la douleur avant que l’âge lui donnât la force de lutter contre elle.