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DES ROMANS.

Goethe sur chaque sujet : le héros de son roman est un tiers importun, qu’il a mis, on ne sait pourquoi, entre son lecteur et lui.

Au milieu de ces personnages de Wilhelm Meister, plus spirituels que signifiants, et de ces situations plus naturelles que saillantes, un épisode charmant se retrouve dans plusieurs endroits de l’ouvrage, et réunit tout ce que la chaleur et l’originalité du talent de Goethe peuvent faire éprouver de plus animé. Une jeune fille italienne est l’enfant de l’amour, et d’un amour criminel et terrible, qui a entraîné un homme consacré par serment au culte de la divinité ; les deux époux, déjà si coupables, découvrent après leur hymen qu’ils étoient frère et sœur, et que l’inceste est pour eux la punition du parjure. La mère perd la raison, et le père parcourt le monde comme un malheureux errant qui ne veut d’asile nulle part. Le fruit infortuné de cet amour si funeste, sans appui dès sa naissance, est enlevé par des danseurs de corde ; ils l’exercent jusqu’à l’âge de dix ans dans les misérables jeux dont ils tirent leur subsistance : les cruels traitements qu’on lui fait éprouver intéressent Wilhelm, et il prend à son service cette jeune fille sous l’habit de garçon, qu’elle a porté depuis qu’elle est au monde.