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LA LITTÉRATURE ET LES ARTS

lité d’un être supérieur, et les représente quelquefois avec une ironie presque machiavélique ; ses compositions ont tant de profondeur, que la rapidité de l’action théâtrale fait perdre une grande partie des idées qu’elles renferment : sous ce rapport, il vaut mieux lire ses pièces que les voir. À force d’esprit Shakespear refroidit souvent l’action, et les Français s’entendent beaucoup mieux à peindre les personnages ainsi que les décorations, avec ses grands traits qui font effet à distance. Quoi ! dira-t-on, peut-on reprocher à Shakespear trop de finesse dans les aperçus, lui qui se permit des situations si terribles ? Shakespear réunit souvent des qualités et même des défauts contraires ; il est quelquefois en-deçà, quelquefois en-delà de la sphère de l’art ; mais il possède encore plus la connoissance du cœur humain que celle du théâtre.

Dans les drames, dans les opéras comiques et dans les comédies, les Français montrent une sagacité et une grâce que seuls ils possèdent à ce degré ; et d’un bout de l’Europe à l’autre, on ne joue guère que des pièces françaises traduites : mais il n’en est pas de même des tragédies. Comme les règles sévères auxquelles on les sou-