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DES ROMANS.

tenir lieu. Si l’effet théâtral est la condition indispensable de toute pièce représentée, il est également vrai qu’un roman ne seroit ni un bon ouvrage, ni une fiction heureuse, s’il n’inspiroit pas une curiosité vive ; c’est en vain que l’on voudroit y suppléer par des digressions spirituelles, l’attente de l’amusement trompée causeroit une fatigue insurmontable.

La foule des romans d’amour publiés en Allemagne a fait tourner un peu en plaisanterie les clairs de lune, les harpes qui retentissent le soir dans la vallée, enfin tous les moyens connus de bercer doucement l’âme ; mais néanmoins il y a dans nous une disposition naturelle qui se plaît à ces faciles lectures, c’est au génie à s’emparer de cette disposition qu’on voudroit en vain combattre. Il est si beau d’aimer et d’être aimé, que cet hymne de la vie peut se moduler à l’infini, sans que le cœur en éprouve de lassitude ; ainsi l’on revient avec joie au motif d’un chant embelli par des notes brillantes. Je ne dissimulerai pas cependant que les romans, même les plus purs, font du mal ; ils nous ont trop appris ce qu’il y a de plus secret dans les sentiments. On ne peut plus rien éprouver sans se souvenir presque de l’avoir lu, et tous les voiles du cœur ont