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De la déclamation.

donné par le public. Dans un art tout d’émotion, les hommes rassemblés font éprouver une électricité toute-puissante à laquelle rien ne peut suppléer.

Une grande habitude de la pratique de l’art peut faire qu’un bon acteur, en répétant une pièce, repasse par les mêmes traces et se serve des mêmes moyens sans que les spectateurs l’animent de nouveau ; mais l’inspiration première est presque toujours venue d’eux. Un contraste singulier mérite d’être remarqué. Dans les beaux-arts, dont la création est solitaire et réfléchie, on perd tout naturel lorsqu’on pense au public, et l’amour-propre seul y fait songer. Dans les beaux-arts improvisés, dans la déclamation surtout, le bruit des applaudissements agit sur l’âme comme le son de la musique militaire. Ce bruit enivrant fait couler le sang plus vite, ce n’est pas la froide vanité qu’il satisfait.

Quand il paroît un homme de génie en France, dans quelque carrière que ce soit, il atteint presque toujours à un degré de perfection sans exemple ; car il réunit l’audace qui fait sortir de la route commune, au tact du bon goût qu’il importe tant de conserver lorsque l’originalité