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LA LITTÉRATURE ET LES ARTS

les romans des troubadours ont fait ressortir des effets si touchants.

La pompe des alexandrins est un plus grand obstacle encore que la routine même du bon goût, à tout changement dans la forme et le fond des tragédies françaises : on ne peut dire en vers alexandrins qu’on entre ou qu’on sort, qu’on dort ou qu’on veille, sans qu’il faille chercher pour cela une tournure poétique ; et une foule de sentiments et d’effets sont bannis du théâtre, non par les règles de la tragédie, mais par l’exigence même de la versification. Racine est le seul écrivain français qui, dans la scène de Joas avec Athalie, se soit une fois joué de ces difficultés : il a su donner une simplicité aussi noble que naturelle au langage d’un enfant ; mais l’admirable effort d’un génie sans pareil n’empêche pas que les difficultés trop multipliées dans l’art ne soient souvent un obstacle aux inventions les plus heureuses.

M. Benj. Constant, dans la préface si justement admirée qui précède sa tragédie de Walstein, a fait observer que les Allemands peignoient les caractères dans leurs pièces, et les Français seulement les passions. Pour peindre les caractères, il faut nécessairement s’écarter