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DE LA COMÉDIE

que la nature animée semble adresser de toutes parts à l’homme un langage prophétique. Le gouverneur ne trouve dans ces sensations vagues et multipliées que de la confusion et du bruit ; et lorsqu’il revient dans le palais, il se réjouit de voir les arbres transformés en meubles, toutes les productions de la nature asservies à l’utilité, et la régularité factice mise à la place du mouvement tumultueux de l’existence. Les courtisans se rassurent toutefois, quand, au retour de ses voyages, le prince Zerbin, éclairé par l’expérience, promet de ne plus s’occuper des beaux-arts, de la poésie, des sentiments exaltés, de rien enfin qui ne tende à faire triompher l’égoïsme sur l’enthousiasme.

Ce que les hommes craignent le plus, pour la plupart, c’est de passer pour dupes, et il leur paroit beaucoup moins ridicule de se montrer occupés d’eux-mêmes en toute circonstance, qu’attrapés dans une seule. Il y a donc de l’esprit, et un bel emploi de l’esprit, à tourner sans cesse en plaisanterie tout ce qui est calcul personnel ; car il en restera toujours bien assez pour faire aller le monde, tandis que jusqu’au souvenir même d’une nature vraiment élevée pourroit bien, un de ces jours, disparoître tout-à-fait.