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LA LITTÉRATURE ET MES ARTS

d’un espace inconnu, d’un univers nocturne dont notre monde est environné. Cet air si froid qu’il congèle le souffle de la respiration fait rentrer la chaleur dans l’âme, et la nature dans ces climats ne paroit faite que pour repousser l’homme en lui-même.

Les héros, dans les fictions de la poésie du Nord, ont quelque chose de gigantesque. La superstition est réunie, dans leur caractère, à la force, tandis que, partout ailleurs, elle semble le partage de la foiblesse. Des images tirées de la rigueur du climat caractérisent la poésie des Scandinaves : ils appellent les vautours les loups de l’air ; les lacs bouillants formés par les volcans conservent pendant l’hiver les oiseaux qui se retirent dans l’atmosphère dont ces lacs sont environnés : tout porte, dans ces contrées nébuleuses, un caractère de grandeur et de tristesse.

Les nations scandinaves avoient une sorte d’énergie physique qui sembloit exclure la délibération, et faisoit mouvoir la volonté comme un rocher qui se précipite en bas de la montagne. Ce n’est pas assez des hommes de fer de l’Allemagne, pour se faire l’idée de ces habitants de l’extrémité du monde : ils réunissent l’irritabilité de la colère à la froideur persévérante de la ré-