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LA LITTÉRATURE ET LES ARTS

repoussée se change en un fantôme qui trouble la raison.

La femme du paysan criminel est poursuivie par le souvenir d’une romance qui raconte un parricide ; et seule, pendant son sommeil, elle ne peut s’empêcher de la répéter à demi-voix, comme ces pensées confuses et involontaires dont le retour funeste semble un présage intime du sort.

La description des Alpes et de leur solitude est de la plus grande beauté ; la demeure du coupable, la chaumière où se passe la scène, est loin de toute habitation : la cloche d’aucune église ne s’y fait entendre, et l’heure n’y est annoncée que par la pendule rustique, dernier meuble dont la pauvreté n’a pu se résoudre à se séparer : le son monotone de cette pendule, dans le fond de ces montagnes où le bruit de la vie n’arrive plus, produit un frémissement singulier. On se demande pourquoi du temps dans ce lieu ; pourquoi la division des heures, quand nul intérêt ne les varie ? et quand celle du crime se fait entendre, on se rappelle cette belle idée d’un missionnaire qui supposoit que dans l’enfer les damnés demandoient sans cesse : — Quelle heure est-il ? et qu’on leur répondoit : — L’éternité ! —