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TORQUATO TASSO

réflexion et d’activité, d’analyse et d’enthousiasme qui trouble singulièrement l’existence.

L’élégance et la dignité du style poétique sont incomparables dans la pièce du Tasse ; et Goethe s’y est montré le Racine de l’Allemagne. Mais si l’on a reproché à Racine le peu d’intérêt de Bérénice, on pourroit avec bien plus de raison blâmer la froideur dramatique du Tasse de Goethe ; le dessein de l’auteur étoit d’approfondir les caractères, en esquissant seulement les situations ; mais cela est-il possible ? Ces longs discours pleins d’esprit et d’imagination, que tiennent tour à tour les différents personnages, dans quelle nature sont-ils pris ? Qui parle ainsi de soi-même et de tout ? Qui épuise à ce point ce qu’on peut dire sans qu’il soit question de rien faire ? Quand il arrive un peu de mouvement dans cette pièce, on se sent soulagé de l’attention continuelle qu’exigent les idées. La scène du duel entre le poëte et le courtisan intéresse vivement ; la colère de l’un et l’habileté de l’autre développent la situation d’une manière piquante. C’est trop exiger des lecteurs ou des spectateurs, que de leur demander de renoncer à l’intérêt des circonstances pour s’attacher uniquement aux images et aux pensées. Alors il ne faut pas pro-