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LA LITTÉRATURE ET LES ARTS

cesse, et d’un prince agissant dans un petit cercle avec toute l’âpreté d’amour-propre qui remueroit le monde. L’on connoit la sensibilité maladive du Tasse, et la rudesse polie de son protecteur Alfonse, qui, tout en professant la plus haute admiration pour ses écrits, le fit enfermer dans la maison des fous ; comme si le génie qui part de l’âme devoit êlre traité ainsi qu’un talent mécanique dont on tire parti, en estimant l’œuvre et dédaignant l’ouvrier.

Goethe a peint Léonore d’Est, la sœur du duc de Ferrare, que le poëte aimoit en secret comme appartenant par ses vœux à l’enthousiasme, et par sa foiblesse à la prudence ; il a introduit dans sa pièce un courtisan sage, selon le monde, qui traite Le Tasse avec la supériorité que l’esprit d’affaires se croit sur l’esprit poétique, et qui l’irrite par son calme et par l’habileté qu’il emploie à le blesser sans avoir précisément tort envers lui. Cet homme de sang froid conserve son avantage en provoquant son ennemi par des manières sèches et cérémonieuses, qui offensent sans qu’on puisse s’en plaindre. C’est le grand mal que fait une certaine science du monde : et dans ce sens, l’éloquence et l’art de parler diffèrent extrêmement ; car pour être éloquent, il