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IPHIGÉNIE EN TAURIDE

aux habitants de ces rives désolées : il cherchoit en vain les arts, un beau ciel, et cette sympathie de pensées qui fait goûter avec les indifférents même quelques-uns des plaisirs de l’amitié. Son génie retomboit sur lui-même, et sa lyre suspendue ne rendoit plus que des accords plaintifs, lugubre accompagnement des vents du nord.

Aucun ouvrage moderne ne peint mieux, ce me semble, que l’Iphigénie de Goethe, la destinée qui pèse sur la race de Tantale, la dignité de ces malheurs causés par une fatalité invincible. Une crainte religieuse se fait sentir dans toute cette histoire, et les personnages eux-mêmes semblent parler prophétiquement, et n’agir que sous la main puissante des dieux.

Goethe a fait de Thoas le bienfaiteur d’Iphigénie. Un homme féroce, tel que divers auteurs l’ont représenté, n’auroit pu s’accorder avec la couleur générale de la pièce, il en auroit dérangé l’harmonie. Dans plusieurs tragédies on met un tyran, comme une espèce de machine qui est la cause de tout ; mais un penseur tel que Goethe n’auroit jamais mis en scène un personnage sans développer son caractère. Or, une âme criminelle est toujours si compliquée, qu’elle