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LA LITTÉRATURE ET LES ARTS

cour, il s’écrie : — Un pied dans la tombe, deux ; la grille se referme, il est à moi. —

Le comte d’Egmont paroît, le duc d’Albe s’entretient assez long-temps avec lui sur le gouvernement des Pays-Bas, et la nécessité d’employer la rigueur pour contenir les opinions nouvelles. Il n’a plus d’intérêt à tromper Egmont, et cependant il se plaît dans sa ruse, et veut la savourer encore quelques instants ; à la fin il révolte l’âme généreuse du comte d’Egmont, et l’irrite par la dispute pour arracher de lui quelques paroles violentes. Il veut se donner l’air d’être provoqué et de faire, par un premier mouvement, ce qu’il a combiné d’avance. D’où viennent tant de précautions envers l’homme qui est en sa puissance, et qu’il fera périr dans quelques heures ? C’est qu’il y a toujours dans l’assassin politique un désir confus de se justifier, même auprès de sa victime ; il veut dire quelque chose pour son excuse, alors même que ce qu’il dit ne peut persuader ni lui-même ni personne. Peut-être aucun homme n’est-il capable d’aborder le crime sans subterfuge, aussi la véritable moralité des ouvrages dramatiques ne consiste-t-elle pas dans la justice poétique dont l’auteur dispose à son gré, et que l’histoire a si souvent