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LA LITTÉRATURE ET LES ARTS

naux ne se tiennent plus en plein air devant les portes des villes ; les écrits ont pris la place de la parole vivante ; le peuple lui-même, cette masse si forte et si viable, n’est presque plus qu’une idée abstraite, et les divinités des mortels n’existent plus que dans leur cœur. Il faut que le poëte ouvre les palais, replace les juges sous la voûte du ciel, relève les statues des dieux, ranime enfin les images qui partout ont fait place aux idées. »

Ce désir d’un autre temps, d’un autre pays, est un sentiment poétique. L’homme religieux a besoin du ciel, et le poëte d’une autre terre : mais on ignore quel culte et quel siècle la Fiancée de Messine nous représente ; elle sort des usages modernes, sans nous placer dans les temps antiques. Le poëte y a mêlé toutes les religions ensemble ; et cette confusion détruit la haute unité de la tragédie, celle de la destinée qui conduit tout. Les événements sont atroces, et cependant l’horreur qu’ils inspirent est tranquille. Le dialogue est aussi long, aussi développé que si l’affaire de tous étoit de parler en beaux vers, et qu’on aimât, qu’on fût jaloux, qu’on hait son frère, qu’on le tuât sans quitter