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LA LITTÉRATURE ET LES ARTS

ment accusée, quand elle se sent coupable d’un autre crime que son cœur ne peut se pardonner. Le tonnerre se fait entendre, l’épouvante s’empare du peuple, Jeanne d’Arc est bannie de l’empire qu’elle vient de sauver. Nul n’ose s’approcher d’elle. La foule se disperse ; l’infortunée sort de la ville ; elle erre dans la campagne ; et lorsqu’abîmée de fatigue elle accepte une boisson rafraîchissante, un enfant qui la reconnaît arrache de ses mains ce foible soulagement. On diroit que le souffle infernal dont on la croit environnée peut souiller tout ce qu’elle touche, et précipiter dans l’abîme éternel quiconque oseroit la secourir. Enfin, poursuivie d’asile en asile, la libératrice de la France tombe au pouvoir de ses ennemis.

Jusque-là cette tragédie romantique, c’est ainsi que Schiller l’a nommée, est remplie de beautés du premier genre : on peut bien y trouver quelques longueurs (jamais les auteurs allemands ne sont exempts de ce défaut) ; mais on voit passer devant soi des événements si remarquables, que l’imagination s’exalte à leur hauteur, et que, ne jugeant plus cette pièce en ouvrage de l’art, on considère le merveilleux tableau qu’elle renferme comme un nouveau reflet