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JEANNE D’ARC

bizarres le langage. On attribuoit à cette alliance avec le démon toutes les prospérités de la terre dont la cause n’étoit pas bien connue. Le mot de magie désignoit l’empire du mal sans bornes, comme la Providence le règne du bonheur infini. Cette imprécation, elle est sorcière, il est sorcier, devenue ridicule de nos jours, faisoit frissonner il y a quelques siècles ; tous les liens les plus sacrés se brisoient quand ces paroles étoient prononcées ; nul courage ne les bravoit, et le désordre qu’elles mettoient dans les esprits étoit tel, qu’on eût dit que les démons de l’enfer apparoissoient réellement quand on croyoit les voir apparoître.

Le malheureux fanatique, père de Jeanne d’Arc, est saisi par la superstition du temps ; et, loin d’être fier de la gloire de sa fille, il se présente lui-même au milieu des chevaliers et des seigneurs de la cour y pour accuser Jeanne d’Arc de sorcellerie. À l’instant, tous les cœurs se glacent d’effroi ; les chevaliers, compagnons d’armes de Jeanne d’Arc, la pressent de se justifier, et elle se tait. Le roi l’interroge, et elle se tait. L’archevêque la supplie de jurer sur le crucifix qu’elle est innocente, et elle se tait. Elle ne veut pas se défendre du crime dont elle est fausse-