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DE L’ALLEMAGNE

lois prohibitives n’ont tout leur effet que contre les ouvrages philosophiques, qui élèvent l’âme et étendent les idées. La contrainte que ces lois imposent, est précisément ce qu’il faut pour favoriser la paresse de l’esprit, mais non pour conserver l’innocence du cœur.

Dans un pays où tout mouvement est difficile ; dans un pays où tout inspire une tranquillité profonde, le plus léger obstacle suffit pour ne rien faire, pour ne rien écrire, et, si l’on le veut même, pour ne rien penser. Qu’y a-t-il de mieux que le bonheur, dira-t-on ? Il faut savoir néanmoins ce qu’on entend par ce mot. Le bonheur consiste-t-il dans les facultés qu’on développe, ou dans celles qu’on étouffe ? Sans doute un gouvernement est toujours digne d’estime quand il n’abuse point de son pouvoir, et ne sacrifie jamais la justice à son intérêt ; mais la félicité du sommeil est trompeuse. ; de grands revers peuvent la troubler ; et pour tenir plus aisément et plus doucement les rênes il ne faut pas engourdir les coursiers.

Une nation peut très-facilement se contenter des biens communs de la vie, le repos et l’aisance ; et des penseurs superficiels prétendront que tout l’art social se borne à donner au peuple