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DE L’ALLEMAGNE

Allemands à sentir qu’on n’est fort que par sa propre nature, et que l’habitude de l’honnêteté rend tout-à-fait incapable, même quand on le veut, de se servir de la ruse. Il faut, pour tirer parti de l’immortalité, être armé tout-à-fait à la légère, et ne pas porter en soi-même une conscience et des scrupules qui vous arrêtent à moitié chemin, et vous font éprouver d’autant plus vivement le regret d’avoir quitté l’ancienne route, qu’il vous est impossible d’avancer hardiment dans la nouvelle.

Il est aisé, je le crois, de démontrer que, sans la morale, tout est hasard et ténèbres. Néanmoins on a vu souvent chez les nations latines une politique singulièrement adroite dans l’art de s’affranchir de tous les devoirs ; mais on peut le dire à la gloire de la nation allemande, elle a presque l’incapacité de cette souplesse hardie qui fait plier toutes les vérités pour tous les intérêts, et sacrifie tous les engagements à tous les calculs. Ses défauts, comme ses qualités, la soumettent, à l’honorable nécessité de la justice.

La puissance du travail et de la réflexion est aussi l’un des traits distinctifs de la nation allemande. Elle est naturellement littéraire et philosophique ; toutefois la séparation des classes, qui