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DE LA POÈSIE ALLEMANDE

en aucune manière ni le but de cette fiction, ni la fiction en elle-même ; mais il me semble difficile de n’être pas frappé de l’imagination qu’elle suppose.

Deux amis, l’un d’Athènes et l’autre de Corinthe, ont résolu d’unir ensemble leur fils et leur fille. Le jeune homme part pour aller voir à Corinthe celle qui lui est promise, et qu’il ne connoit pas encore : c’étoit au moment où le christianisme commençoit à s’établir. La famille de l’Athénien a gardé son ancienne religion ; celle du Corinthien adopte la croyance nouvelle et la mère, pendant une longue maladie, a consacré sa fille aux autels. La sœur cadette est destinée à remplacer sa sœur aînée qu’on a faite religieuse.

Le jeune homme arrive tard dans la maison ; toute la famille est endormie ; les valets apportent à souper dans son appartement, et l’y laissent seul : peu de temps après, un hôte singulier entre chez lui ; il voit s’avancer jusqu’au milieu de la chambre une jeune fille revêtue d’un voile et d’un habit blanc, le front ceint d’un ruban noir et or, et quand elle aperçoit le jeune homme, elle recule intimidée, et s’écrie en élevant au ciel ses blanches mains : — Hélas ! suis-je donc déjà devenue si étrangère à la maison, dans l’étroite cellule où je