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DE LA POÈSIE ALLEMANDE

de cette romance : toutes les images, tous les bruits, en rapport avec la situation de l’âme sont merveilleusement exprimés par la poésie : les syllabes, les rimes, tout l’art des paroles et de leurs sons est employé pour exciter la terreur. La rapidité des pas du cheval semble plus solennelle et plus lugubre que la lenteur même d’une marche funèbre. L’énergie avec laquelle le chevalier hâte sa course, cette pétulance de la mort cause un trouble inexprimable ; et l’on se croit emporté par le fantôme, comme la malheureuse qu’il entraîne avec lui dans l’abîme.

Il y a quatre traductions de la romance de Lenore en anglais, mais la première de toutes, sans comparaison, c’est celle de M. Spencer, le poëte anglais qui connoît le mieux le véritable esprit des langues étrangères. L’analogie de l’anglais avec l’allemand permet d’y faire sentir en entier l’originalité du style et de la versification de Bürger ; et non-seulement on peut retrouver dans la traduction les mêmes idées que dans l’oiginal, mais aussi les mêmes sensations ; et rien n’est plus nécessaire pour connoître un ouvrage des beaux-arts. Il seroit difficile d’obtenir le même résultat en français, où rien de bizarre n’est naturel.