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LA LITTÉRATURE ET LES ARTS

anciens ; et néanmoins sa raison n’a que trop la maturité de notre temps. Rien ne trouble la force de sa tête, et les inconvénients même de son caractère, l’humeur, l’embarras, la contrainte, passent comme des nuages au bas de la montagne sur le sommet de laquelle son génie est placé.

Ce qu’on nous raconte de l’entretien de Diderot pourroit donner quelque idée de celui de Goethe ; mais, si l’on en juge par les écrits de Diderot, la distance doit être infinie entre ces deux hommes. Diderot est sous le joug de son esprit ; Goethe domine même son talent : Diderot est affecté à force de vouloir faire effet ; on aperçoit le dédain du succès dans Goethe à un degré qui plaît singulièrement, alors même qu’on s’impatiente de sa négligence. Diderot a besoin de suppléer, à force de philantropie, aux sentiments religieux qui lui manquent ; Goethe seroit plus volontiers amer que doucereux ; mais ce qu’il est avant tout, c’est naturel ; et sans cette qualité, en effet, qu’y a-t-il dans un homme qui puisse en intéresser un autre ?

Goethe n’a plus cette ardeur entraînante qui lui inspira Werther ; mais la chaleur de ses pensées suffit encore pour tout animer. On diroit qu’il n’est pas atteint par la vie, et qu’il la décrit seule-