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belles choses souvent ne sont pas de longue durée, et en voici une preuve.

À peine avions-nous perdu de vue l’île de Wight, que la scène prit un aspect tout différent. Nous trouvâmes la mer dans une agitation extraordinaire. Quoique le vent fût assez modéré, et que le temps parût assez beau, le tangage secouait le navire avec la plus grande violence, nous portant tantôt sur la cime des hautes vagues, et nous précipitant ensuite comme dans un abîme, entre les eaux turbulentes et écumantes qui s’élevaient autour de nous. C’était la houle qui suit après une forte tempête, ou bien de gros vents contraires qui avaient passé peu d’heures auparavant dans notre voisinage. Ce jour-là ressemblait à un véritable temps de deuil : les chants et les danses avaient entièrement cessé  ; on ne remarquait plus la moindre animation  ; la table était presque déserte  ; la faim et la gaieté avaient disparu ensemble. On voyait çà et là des groupes d’hommes, de femmes et d’enfants, à figure triste et aux yeux hagards, pâles et blêmes comme des spectres, se pencher sur le bord du navire, comme s’ils avaient eu quelque communication empressée à faire à la mer. Ceux surtout qui s’étaient le mieux traités et qui avaient regardé peut-être un peu trop profondément dans le verre avaient les visages les plus défaits et les plus allongés  ; c’étaient de vrais parchemins : fransyne gezichten. Neptune était à son poste. Cet