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une inscription grossière taillée sur un morceau de planche ou sur une étroite pierre, d’autres mottes funéraires sans marque aucune ni trace d’affection ou de souvenir, fournissaient des preuves évidentes que la mort avait considérablement éclairci les rangs de ces tristes voyageurs. Par suite de tant de désastres, de nombreux émigrants se sont trouvés arrêtés soudain dans leur course, et ont vu s’évanouir le mirage trompeur des richesses qu’ils se flattaient de conquérir.

Les nombreux fragments de voitures, de waggons et de charrettes, les tas de provisions délaissées, les outils de toute espèce, et d’autres objets dont les émigrants s’étaient pourvus à des prix élevés, mais que les plus impatients, désireux de devancer les autres à l’Eldorado de l’ouest, avaient abandonnés et jetés, témoignaient également de cette insouciance téméraire avec laquelle ils s’étaient hasardés dans cette entreprise, et qui fut si fatale à un très-grand nombre. Arrivés en 1848, dans les régions arides de la Californie supérieure, la famine les avait réduits d’abord à manger leurs bêtes de somme. Bientôt ils se jetèrent, dit-on, sur les cadavres ; puis les mourants ne furent point épargnés, et enfin ils s’entre-dévorèrent… Le tableau qu’en trace Thornton dans son journal est le plus affreux qu’on puisse lire… Toutes ces scènes se déroulaient à nos yeux, avec leurs douloureux souvenirs ; elles offraient la preuve désolante mais salutaire de l’incertitude qui plane toujours sur la