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Les Délices

chacun ſe donne dans le commerce & dans l’œconomie du ménage. Ils y font tous ocupés, même à diférens genres de commerce. Le pere, la mere & les enfans s’y engagent ſelon leurs talens, & les diſpoſitions de ceux qui les y autoriſent : & ils ne laiſſent pas de les entendre tous, pour être en état de ſe remplacer les uns les autres, quand les ocaſions ſe preſentent.

Le beau ſexe est tellement acoutumé au travail, que les femmes des Bourgeois qui vivent de leurs revenus, ſe donnent toute ſorte de mouvemens, pour les augmenter. Elles regardent une boutique comme un amuſement : & tandis que les maris & les peres paſſent agréablement leurs jours, les femmes & les filles s’ocupent au commerce, moins par l’eſpoir du gain, que par les apas de la vertu, ennemie de l’oiſiveté. C’eſt le train des femmes au-deſſous de celles dont la qualité les éloigne du commerce : & toutes les autres de quelque condition que ſoient leurs maris, ſe font un devoir de deſtiner au travail, le tems qu’ailleurs elles donnent au jeu, aux modes, & au plaiſir.

Il eſt donc inutile de dire, que la plûpart des plus riches Bourgeoiſes ne connoiſſent ni aſſemblées, ni ſpectacles, ni promenades, ni rendés-vous ; & qu’elles évitent avec ſoin les apas ſéduiſans de ces lieux de recréation & de liberté, où l’innocence eſt ordinairement expoſée à un vilain naufrage. Si elles ont des momens vuides dans la journée, elles les rempliſſent dans leur domeſtique, où une femme vigilante & ſoigneuſe trouve toûjours de quoi s’ocuper. C’est ainſi que faiſant ſuccéder une ocupation à une autre, elles ſavent mettre à profit & fixer le tems paſſager & fugitif, & décharger des momens perdus, le compte de leur vie.

Peut-on douter qu’une conduite ſi réguliére n’inſpire les principes d’honneur, qui ſont les cautions de la chaſteté & de la foi conjugale ? Auſſi les Liégeoises la gardent avec la fidélité dont Tacite donne une juſte idée. On pourroit même leur apliquer ce qu’il raporte d’un uſage établi de ſon tems dans quelques Villes d’Allemagne. Le Mariage n’y étoit permis qu’aux filles, &