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lui jouer un tour ; il s’approcha donc de Saindoux qui attendait en maugréant et lui dit avec un grand sérieux :

— Si monsieur le désire, je puis lui faire rejoindre son ami, non dans une heure, mais dans un quart d’heure.

— À la bonne heure ! s’écria Philéas tout joyeux ; vous êtes un brave homme, vous ! menez-moi tout de suite au train, s’il vous plaît.

— Voilà, Monsieur, dit le chef de gare en montrant à Saindoux une locomotive prête à partir.

Philéas. — Mais ce n’est pas un train, ça !

Le chef de gare. — C’est le wagon de voyage de S. M. l’Empereur de Tartarie, Monsieur ; avant de le lui expédier, on le fait servir à quelques hauts personnages… (saluant) et je vous l’offre.

Philéas, flatté. — Monsieur, vous êtes bien bon ; je dirai même que vous êtes un homme charmant ! j’accepte avec joie.

Saindoux s’installa majestueusement sur la plate-forme au milieu de rires étouffés et la locomotive partit avec la rapidité de l’éclair. Elle allait, en réalité, rejoindre un train de marchandises pour remplacer une machine déraillée et le mécanicien, riant sous cape, s’amusait à exciter la terreur de Philéas par des récits lugubres d’accidents horribles, à l’endroit même où le gros voyageur s’était placé.

Philéas avait beau changer de place, le lieu où il était se trouvait rappeler des souvenirs plus terribles encore. Le pauvre Saindoux, qui recommandait son âme à Dieu, respira librement en voyant Polyphème sur le quai de la station.