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crut le détourner de son projet en lui désignant un sentier qui aboutissait (il le savait, pour l’avoir parcouru quelques jours auparavant) à une prairie entourée par de fortes palissades et par une haie gigantesque. Il suivit alors avec un intérêt malicieux la course pittoresque du gros Saindoux.

Chargé de son havresac, essoufflé, rouge, trébuchant et grognant, Philéas descendit la colline à travers les grands arbres qui l’accrochaient sans cesse dans sa route. Tantôt c’était une branche qui retenait sa casquette ; tantôt c’était une racine où s’empêtraient ses pieds. Il n’avait plus qu’une pensée : arriver ; qu’une idée fixe, se désaltérer bien à son aise ; aussi dégringolait-il avec une opiniâtreté qui se mélangeait de colère à chaque nouvel obstacle entravant sa marche. Il finit par être fiévreux, surexcité et donna tête baissée dans tout ce qui lui semblait devoir s’opposer à sa descente furieuse.

Quant à Polyphème, il avait rejoint Sagababa. Ce dernier s’était installé dans un renfoncement de la vallée ; la prairie clôturée le séparait de Philéas et dominait le campement choisi.

Le petit nègre avait tout préparé pour le lunch. La gourmandise aidant, il goûtait à tout, sous prétexte de constater si tout était digne de « maître à moi ». Polyphème ne prêtait qu’une médiocre attention aux manœuvres de Sagababa ; il était vivement intéressé par les tribulations de Saindoux qu’il apercevait franchissant obstacles et haies. Une brèche habilement faite avait permis à Philéas de se glisser dans la prairie. Mais le gros touriste reconnut alors avec dépit qu’il était enfermé comme dans une souricière.