d’opium fait son effet ; ce pauvre garçon n’aura pas le mal de mer et, par dessus le marché, il va encore me faire rire avec sa naïveté de voyage en deux heures. Après-demain, je le réveillerai ; jusque là, bonsoir, Saindoux, rêvez à des lions non féroces et à des bombes en poudre dentifrice.
Le surlendemain à quatre heures, Polyphème, qui avait eu soin de prolonger le sommeil de Philéas avec ses pastilles, secoua vigoureusement le gros dormeur.
— Allons, Philéas, debout ! dit-il avec emphase ; il est quatre heures moins cinq et nous allons arriver comme je vous l’ai promis.
— Hein ! quoi ? s’écria Saindoux en se frottant les yeux ; déjà ? c’est merveilleux, mon bon Tueur, ce que vous faites ! et qu’avez-vous donc dit aux matelots pour nous faire aller de ce train-là ?
— Je leur ai fait adroitement avaler de la poudre électrique dans du rhum, mon ami, répliqua Polyphème très gravement. Ça les a fait travailler ferme, vous devez le comprendre.
L’équipage et les passagers, qui étaient dans le secret, reçurent le dormeur de façon à compléter son illusion. Tout à coup, Saindoux se frappa le front.
— Polyphème, s’écria-t-il, quel jour sommes-nous ? J’entends dire à Crakmort que c’est aujourd’hui jeudi.
Polyphème, tranquillement. — Certainement. Qu’est-ce qui vous étonne ?
Philéas. — Mais… mais nous sommes partis de Marseille avant-hier, alors ?… Comment…