Les loges étaient occupées par les dames parées et à visage découvert. Dans le parterre se tenaient les hommes. On se regarda ainsi jusqu’à minuit, où des soupers furent servis dans chaque loge, ce qui réveilla tout à coup la gaieté de l’assemblée. Après le souper, les dames prirent des dominos et descendirent au parterre. C’est alors que le bal masqué commença réellement, sur le même pied que ceux de Paris, avec cette différence qu’il ne manquait pas à San-Carlo une seule personne de la bonne compagnie, tandis que chez nous on rencontre à peine une demi-douzaine de femmes éperdues qui rougissent de se sentir mêlées à des gens de mauvais ton et qui tremblent si on vient à les reconnaître. Les intrigues se prolongèrent jusqu’à la fin de la nuit et le roi, qui était descendu dans le parterre, fut assailli comme les autres par les dominos. Pendant trois jours, les salons de Naples retentirent des nuits de cette fête délicieuse. On pourrait dire du bal masqué le mot que Voltaire eût la bonté d’adresser à Dieu dans un moment d’indulgence : que, s’il n’existait pas, il faudrait l’inventer. En voyant combien cet amusement si vif a de décence et de véritable gaieté au théâtre de Naples, le Français fait un retour pénible sur nos tristes bacchanales qui n’ont d’un bal que le nom. Comment se peut-il qu’une nation qui a toujours attaché tant de prix aux jouissances de l’esprit et dont le caractère est chevaleresque, préfère l’orgie et le désordre le plus grossier au plus attrayant et au plus romanesque des plaisirs ? Il faut que ce plaisir se trouve à l’autre bout de l’Europe, chez un peuple bien moins délicat ! En vérité c’est à n’y rien comprendre.
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