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pour émouvoir votre compassion et votre générosité. Prenez ensuite la parole à votre tour et faites-lui un récit fabuleux, il y croira de toute son âme ; des menaces absurdes, et il tremblera de frayeur. Dites-lui que vous êtes un corsaire barbaresque et que vos gens sont là tout près, qui vont venir le prendre : il se jettera à vos genoux. Le guaglione napolitain, cet équivalent méridional du gamin de Paris, quand il sera prosterné devant la madone, étendra le bras jusqu’à la poche de son voisin, et volera un mouchoir, sans s’interrompre dans la prière la plus fervente ; mais le jour où on expose le trésor de Saint Janvier, il massacrerait celui qui oserait dérober à l’église un vase d’argent. Le lazzarone qui raconte à ses amis son voyage à Sorrente ou Amalfi l’ornera d’aventures plus merveilleuses que celles de Sindbad le marin. Il aura vu des montagnes aimantées et des oiseaux de cent pieds d’envergure. Le jour où cet homme si fertile en inventions ira voir couper les cheveux de la statue du Christ à Santa Maria del Carmine, l’idée ne lui viendra jamais que ce soit une perruque.

Il faut voir deux Napolitains jouer à la bazzica, se regarder réciproquement le blanc des yeux chaque fois qu’ils posent une carte sur la table, surprendre un éclair imperceptible dans la physionomie, deviner d’avance s’ils on perdu ou gagné, sauter sur l’enjeu avant que le dernier coup soit achevé. Ce sont des chats et des renards pour la défiance, la finesse et l’agilité. Qu’il arrive un étranger se mêler à leur jeu, ils s’entendront ensemble pour l’amorcer, l’enflammer peu à peu et le dépouiller ; et puis qu’il survienne un voleur à l’américaine leur faire un conte ridicule et leur présenter un appât grossier, ils donneront