Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/11

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

humeur et de l’entrain. Le spleen le plus britannique trouvera du répit à Sainte-Lucie ; la plus lourde provision d’ennui, de tristesse et d’inquiétude qu’on puisse apporter du Nord s’envolera dans les airs devant cette baie de Naples où Tibère lui-même, tout chargé de crimes, sentit son vieux cœur se réchauffer.

Honnête lecteur qui n’êtes ni rusé ni méchant comme Tibère, allez à Naples ; mais logez-vous à Sainte-Lucie. C’est là qu’on est heureux. Ayant appris par expérience que les descriptions ne servent à rien, je ne chercherai point à vous décrire la nature méridionale et je vous parlerai d’autres choses dont les livres peuvent au moins donner une idée juste.

Le peuple napolitain est le plus civilisé qui soit au monde, dans le véritable sens du mot et, comme tous les peuples civilisés, il a dans le caractère des complications et des qualités contradictoires. De vieilles traditions devenues fausses l’ont dépeint sous des couleurs peu favorables. Je l’ai toujours trouvé aimable, bienveillant, hospitalier et spirituel, plein de franchise quand il n’a pas de motif de vous tromper, crédule et superstitieux comme un enfant, rusé en affaire d’intérêt, mais si comique dans ses tromperies qu’en les découvrant on s’en amuse. Dans toutes les classes, le plaisir est la grande affaire à Naples ; comment serait-on méchant avec cette préoccupation qui vous oblige sans cesse à établir de bons rapports avec votre voisin ? Le Napolitain est passionné, actif comme un démon le matin, indolent le reste du jour, intrépide quand il sort de son caractère, joueur comme les cartes, amoureux à la folie, mais très-facile à consoler dans la disgrâce ou l’abandon.